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EXPOSITION RAISONNÉE
d’un
CAS DE NOUVELLE ET SINGULIÈRE
VARIÉTÉ D’HERMAPHRODISME
OBSERVÉE CHEZ L’HOMME
( Lue à V Académie royale de Médecine , dans sa Séance du 5 mars i833)
Par J. BOUILLAUD,
PROFESSEUR DE CLINIQUE MEDICALE A LA FACULTE DE MEDECINE DE PARIS, etc.
Inter utrumqué tene.
Dans les faits qui , comme celui-ci , s'éloignent des opinions
reçues , la sagesse consiste également à n’admettre que ce
qui est rigoureusement prouvé , et à ne pas assigner des
bornes trop étroites à la puissance de la nature .
(Rapport de M. Dnpuy tren sur un fœtus humain trouvé
dans le mésentère d7un jeunehomme de quatorze ans.)
PARIS,
J. B. BAILLIÈRE, LIBRAIRE
DB L’ACADÉMIE ROYALE DE MEDECINE,
LONDRES , MEME MAISON, N° 219, REGENT-STREET.
1835.
Extrait du Journal universel et hebdomadaire de Médecine et de Chirurgie
pratiques et des Institutions médicales .
EXPOSITION RAISONNÉE
D*CW
CAS DE NOUVELLE ET SINGULIERE
VARIÉTÉ D’HERMAPHRODISME
OBSERVÉE CHEZ L’HOMME.
Messieurs ,
Les moments de cette savante Académie sont si pré¬
cieux, que ce n’est pas sans une espèce de scrupule que
je me suis décidé à la prier de m’en accorder quelques-
uns , sur-tout après avoir réfléchi combien il est difficile
de lui communiquer des travaux réellement dignes de
son attention. Aussi n’a-t-il rien moins fallu que la nou¬
veauté du fait que je vais avoir l’honneur de lui exposer,
pour me déterminer à lui demander la parole.
Ce fait qui me parait mériter l’honneur d’être présenté
h l’Académie, est un cas dans lequel un seul et même in¬
dividu de l’espèce humaine offre la monstrueuse alliance
d’organes sexuels , dont les uns appartiennent normale¬
ment à la femme, tandis que les autres sont l’apanage de
l’homme; lequel individu, sous le rapport des autres
organes en général , paraît participer à la fois et des at¬
tributs de l'homme et de ceux de la femme.
Il me semble déjà , Messieurs, entendre quelques per¬
sonnes se récrier, comme s’il s’agisssait de la découverte
de la pierre philosophale ou de la quadrature du cercle.
x
HERMAPHRODISME.
4
Quoi ! diront ces personnes, vous allez parler d’herma-
plirodisme chez l'espèce la plus élevée du règne animal !
comme si nous n’avions pas, depuis long-temps, proclamé
la chose impossible; comme si une telle monstruosité
n’était pas évidemment contraire aux lois, et, pour
ainsi dire, à la constitution même de la nature!
A Dieu, ne plaise, Messieurs, que séditieux d’un nou¬
veau genre, je vienne ainsi déranger l’ordre anatomique
que la nature et sur-tout quelques savants ont établi , et
sont bien résolus à défendre ! Tout ce que je désire , c’est
que l’Académie veuille bien écouter d’une oreille indul¬
gente le cas que je vais rapporter , et jeter un coup d’œil
attentif sur les pièces du procès qui sont devant elle:
elle jugera ensuite dans sa sagesse, la question tant de
fois agitée de l’hermaphrodisme, et nous ne manquerons
pas de nous soumettre comme il convient à sa suprême
décision.
§ I. Exposition du fait.
Le nommé Yalmont, chapelier, âgé de soixante-deux
ans, veuf , d’une petite stature, buvant habituellement
un peu d’eau-de-vie , était affecté d’un choléra algide au
plus haut degré , lorsqu’il fut apporté, le 6 avril, dans
le service qui nous était confié, à l’hôpital de la Pitié.
Il mourut le lendemain.
Je retrancherai de l’histoire de l’autopsie cadavérique
que nous en fîmes, M. le docteur Donné et moi, tout
ce qui est étranger au fait de la monstruosité dont le su¬
jet était atteint.
Comme Yalmont paraissait jouir de tous les attributs
du sexe masculin au moment où il fut reçu à notre hô¬
pital, et qu’il avait, en conséquence, été placé dans la
salle des hommes , nous ne fumes pas médiocrement sur¬
pris , lorsque les organes de la cavité abdominale eurent
HERMAPHRODISME.
3
été mis à découvert, de rencontrer dans l’excavation pel¬
vienne un utérus bien conformé. Après avoir noté suc¬
cinctement Tétât anormal dans lequel se trouvaient les
‘ organes génitaux chez cet individu, je fis conserver dans
l’alcool les pièces principales, afin de les décrire plus
en détail lorsque l’épidémie, qui régnait alors dans toute
sa fureur, nous en laisserait le loisir. La chose nous était
sur-tout impossible ce jour-là; car, outre Valmont, nous
avions six autres cholériques dont il nous fallait prati¬
quer l’ouverture.
Sur ces entrefaites, M. Manec ayant désiré examiner
les pièces que nous avions conservées, elles lui furent
aussitôt remises; et c’est d’après les notes quril a eu la
complaisance de nous remettre, que nous allons donner
la description de ces pièces.
M. Manec, dont les profondes connaissances anato¬
miques sont connues dh tout le monde, a, de plus, fait
exécuter sous ses yeux, de superbes planches représen¬
tant les organes décrits. Ce sont ces planches qui circulent
en ce moment dans les rangs de TAcadémie. Voici main¬
tenant la description des organes sexuels de Valmont :
Dans la région des organes génitaux externes, on voit
une verge de grosseur moyenne , terminée par un gland
bien conformé , ainsi que le prépuce dont il est recou¬
vert. L’ouverture du méat urinaire , au lieu d’occuper
le centre même du sommet du gland , existe vers la par¬
tie inférieure de cette partie (i).
Les bourses sont petites, mais d’ailleurs très recon¬
naissables : les téguments qui en forment la partie essen-
(i) M. Manec considère cette particularité' comme constituant un
premier degré d’hypospadias ; ce rapprochement ingénieux est, à ce qu’il
me semble, pour le moins un peu forcé. On en jugera par V examen des
pièces qui sont sous les yeux de l’Académie.
6 HERMAPHRODISME.
tielle, offrent la couleur brune et le froncement qui
existent à l’état normal , et sont ombragés de poils ; elles
sont divisées en deux parties symétriques pir un raphé
qui s’étend du prépuce à l’anus, et qui paraît un peu
plus dur et plus saillant qu’on ne le rencontre ordinai¬
rement chez l'homme. Les bourses sont dépourvues de
testicules : on n’y rencontre aucuns vestiges de ces or¬
ganes. Elles ne contiennent qu’un tissu cellulaire lamel-
leux , semblable à celui que l’on trouve dans l’épaisseur
des nymphes .
Lepénil, ou mont de Vénus, plus arrondi, pl us bombé,
qu’il ne l’est ordinairement chez l’homme , est hérissé de
poils longs, mais médiocrement abondants, et s’avançant
sur la verge comme pour là cacher (1).
Il existe dans le bassin deux ovaires , semblables pour
leur forme et leur structure à ceux d'une jeune fille de
quinze à seize ans (2) , deux trompes utérines avec leur
pavillon et leur petite extrémité s’ouvrant dans l’uté¬
rus, comme chez une femme bien constituée. Cet uté¬
rus , d’une conformation qui ne laisse rien a désirer,
occupe sa place accoutumée, entre le rectum et la vessie,
et va s’ouvrir dans une espèce de vagin , ainsi qu’il sera
ri) « D’après ce qui précède, dit M. Manec, on voit que si tn exa-
» minant avec attention les organes sexuels externes , on peut avoir quel-
j> ques doutes sur le véritable sexe du sujet, il n’en peut être de même,
» lorsqu’on se borne a un aperçu général : dans ce dernier cas , en effet ,
» on doit nécessairement considérer le sujet comme appartenant au sexe
» male. Et cependant nous allons voir, ajoute M. Manec , que les organes
9 caractéristiques des sexes font de ce sujet une femme. »
(2) Je ne puis partager entièrement ici la manière de voir de M. Manec.
Les corps qu’il considère comme étant entièrement semblables aux ovaires
d’une jeune fille, n’offraient point cette structure vésiculaire qui caracté¬
rise de véritables ovaires. Leur tissu était en quelque sorte fibreux. Ces or-
gaaes équivoques tenaient iis le milieu entre les testicules et les ovaires ?
HERMAPHRODISME.
T
dit plus bas. La cavité de l’utérus offre ces rides arbo-
risées que Ton rencontre chez les femmes qui n’ont point
eu d’enfants. L’extrémité inférieure de cet utérus ou le
museau de tanche fait saillie dans le vagin, ainsique
cela se voit, dans l’état normal. Ce vagin, long d’environ
deux, pouces, d’une largeur moyenne, présente à sa face
interne, d’une manière très évidente , les rides nom¬
breuses qu’on y remarque chez les vierges. Parvenu vers
le col de la vessie , ce canal se rétrécit assez brusque¬
ment et ne forme plus , vers la portion membraneuse de
F urèthre qu’un petit conduit qui , se dirigeant de bas
en haut, va s’ouvrir, par un orifice d’environ deux millu
mètres de diamètre, dans l’urètlire à travers la paroi
inférieure de la portion membraneuse indiquée plus
haut,” de telle sorte que l’urèlhre n’est réellement que
la continuation du vagin dont il vient d’être question,
Cet urèthre se comporte, d’ailleurs , au delà de ce poinv
de jonction, absolument de la même manière que celui db
l’homme. Il en offre tous les caractères, et comme lui se
trouve entouré, à son origine , d’une prostate bien con¬
formée (1). Ge corps gl and i forme imprime au canal qui
le traverse une configuration semblable à celle qu’il pré ¬
sente dans le sexe masculin , savoir r une saillie ou veru-
montanum à la paroi inférieure, et deux gouttières laté¬
rales dans le fond desquelles on aperçoit les orifices des
follicules prostatiques; mais sur la crête uréthrale, on
cherche vainement la trace de l’ouverture des canaux
(i) « Si la jonction dn vagin avec l’urèthre s’était opérée , dit M. Ma-
nec, un demi-pouce plus en arrière, il aurait fallu que, chez cette femme,
ce canal traversât le tissu prostatique , ainsi qu’on le voit chez l’homme,
pour le canal génital, au point où il reçoit l’insertion des conduits éja-
culatcurs. » Je rapporterai plus loin, d'après M. Mayer, un cas dans lo¬
que! se trouve réalisée la particularité dont M. Mmec vient de parier.
8
HERMAPHRODISME.
éjaculateurs. Au-delà de la prostate, Turèthre est dé¬
pouillé, dans une longueur de huit à dix lignes de tout
tissu extérieur. Plus loin , un, tissu spongieux avec ren¬
flement bulbeux s’ajoute à ce canal, l’accompagne dans
tout le reste de sa longueur , et s’épanouit ensuite pour
former le gland. Toute cette portion spongieuse est adossée
à la face inférieure des corps caverneux, lesquels forts et
développés comme chez l’homme, sont munis à leur
racine d’un appareil musculaire aussi complet et peut-
être plus puissant qu’on ne le trouve ordinairement en¬
core chez l’homme. Les muscles bulbo-caverneux en
particulier sont très longs et très épais. Les glandes de
Cowper existent comme dans le sexe mâle.
De même que les testicules, les vésicules séminales et
les canaux déférents manquent complètement. Il ne
sort par l’anneau inguinal qu’un tissu cellulaire dense,
rudiment du ligament rond (1), un filet nerveux et une
artère. La seule chose qui nous ait paru s’éloigner un
peu de ce que l’on trouve ordinairement chez la femme,
c’est le volume de cette artère , laquelle , très forte de
chaque côté, va communiquer par de larges anastomoses
avec l’arlère superficielle du perinée et les^ranches des
artères honteuses externes.
Absence complète des parties qui constituent les or¬
ganes génitaux externes féminins , tels que la vulve ,
les grandes et petites lèvres , etc. (2)
(1) Le ligament large , dont il n’a pas été fait mention dans la descrip¬
tion de M. Manec , existait comme, chetf la femme la mieux conformée.
(2) « Si actuellement, dit M. Manec, nous jetons un coup d’œil
» général sur les dispositions qui vienuent d’être indiquées , nous voyons
m que le vice de conformation dont il est question , ne mérite pas le nom
» d’hermaphrodisme; attendu qu’il n’existe que les organes caractéris¬
ai tiques d’un seul sexe , ceux de la femme. La seule différence qui existe
HERMAPHRODISME .
9
Telle est la description faite par M. Manecdes organes
génitaux. Il nous reste maintenant à faire connaître
quelques autres particularités de la structure générale
de l’individu, pai ticuiarités presque aussi remarqua¬
i> entre cct individu et une autre femme bien conformée , c’est que le
» vagin , au lieu de se terminer à l’extérieur par une ouverture évasée et
)> indépendante , placée entre l’anus et le méat urinaire, se rétrécit jus-
» qu’au point de n’avoir plus qu’une ligne de diamètre , et va s’ouvrir
» dans l’ urèthre.
» L’absence de la vulve et la présence d’une verge bien couforraée ,
* s’expliquent par l’excès de dé veloppemeat des petites lèvres et du clitoris.
» Les premières , par leur jonction , ont fait disparaître l’entrée du vag’n
» et formé le raphé ; tandis que le clitoris , développé outre mesure , a
» acquis tous les caractères de la verge, qu’il ne représente, dans l’état
» ordinaire , que d’une manière imparfaite. C’est aussi en vertu d’un
» excès de développement, que i’ urèthre a pu revêtir les caractères de
» celui de l’homme.
» Ainsi, jusqu’à présent , poursuit M. Manec , pas un organe de nou-
)> veau, chez cet individu du genre féminin. Tous ceux qui pourraient
» laisser quelques doutes sur la nature de son sexe , se trouvent à l'état
)> rudimentaire chez une femme bien conformée. Il n’y a donc qu’excès
» de volume dans les organes générateurs externes , et par suite suppres-
» sion de la vulve et jonction de l’urèthre avec le vagin. Mais la prostate
» qui n’existe pas chez la femme se rencontre chez celle-ci, ou elle est
» très bien conformée, et embrasse, comme chez l’homme , le col de la
n vessie et le commencement de l’urèthre. Si donc cet organe était essen-
» tiel pour compléter l’appareil générateur du mâle , sa présence pour-
» rait nous embarrasser , et nous forcer à reconnaître que le cas dont
» nous nous occupons est un commencement d’hermaphrodisme ; chose
» qui cependant ne peut pas exister , car si la nature semble , dans quel-
» ques circonstances , se jouer de la conformation et des rapports des
» organes , cela ne va jamais, dans les animaux des espèces élevées, jus-
» qu’à réunir sur le même individu, des organes à fonctions distinctes ,
» et sur-tout lorsque ces organes concourent à l’accomplissement d’une
v opération fondamentale telle que celle de la génération. La prostate,
» chez le male , n’est qu’un organe accessoire, sécréteur d’une humeur
» qui, par son mélange avec le sperme , favorise la marche de celui-ci
» dans l’urèthre, et rend plus forte sa projection hors de ce canal. Ce
10
HERMAPHRODISME.
blés que celles (les Organes génitaux, et que M. Manec n’a
pu observer.
Le cadavre de Yalmont , très court pour un sujet du
sexe masculin , présente des formes arrondies et potelées,
qui se rapprochent beaucoup de celles de la femme. Les
» mélangé du liquide prostatique n’est pas d’une nécessité absolue pour
» l’accomplissement de la fécondation , puisque , dans plusieurs espèces
« de mammifères cette fécondation a lieu malgré la non-existence de la
» prostate. (La prostate manque chez la plupart des rongeurs, le hérisson
» et la taupe. Son existence est douteuse chez les phoscolomes. Les rumi-
» nants, au contraire, ont toujours deux prostates, et les solipèdes
quatre.) Ce fait d’anatomie comparée prouve que la prostate ne peut
pas être absolument considérée comme un caractère essentiel du sexe
J) d un individu : par conséquent, sa présence sur un individu du sexe
» féminin , ne peut contribuer en rien à lui donner la plus petite appa-
v rence du sexe opposé,
» Le cas dont nous nous occupons , dit en terminant M. Manec, vient
3) à l’appui de l’opinion de M. Geoffroy Saint-Hilair'e , lorsqu’il a dit :
3> que l’appareil reproducteur et l’appareil copuiateur , bien que joints et
» liés ensemble, sont cependant tout-à-fait indépendants l’un de l’autre
3> sous le rapport de leur développement. Ici , en effet , l’excès d’accrois-
3> sement des organes extérieurs n’a changé en rien l’état des organes
3) internes , tandis que dans les systèmes d’organes qui croissent sous la
3) même influence , il arrive constamment que dans les cas où l’un de ces
3 > organes acquiert un surcroît de développement , son congénère reste
3) au-dessous de son volume normal.
» Ce cas vient également confirmer les idées de M. de Blainville , sur
3> l’analogie qui existe entre les organes de l’un et de l’autre sexe , et réa-
33 lise la supposition faite, il y a une quinzaine d’années, par ce savant
33 naturaliste , savoir que la seule différence capitale des deux sexes , con-
33 sistant dans l’indépendance du canal générateur, chez la femme , il
3> suffirait , pour faire de celle-ci un homme en apparence , de joindre le
33 vagin avec l’urèthre. ( Noie de M. Manec. )
J’ai cru devoir rapporter dans tout son entier cette note de M. le doc*
teur Manec , bien que je ne partage pas plusieurs des idées que cet habile
anatomiste y développe. On verra plus loin , en quoi mes opinions dif¬
fèrent des siennes.
HERMAPHRODISME»
1 t
mains et sur-tout les pieds sont petits et ressemblent à
ceux de la femme plus encore qu’à ceux de l’homme; le
bassin est plus évasé , les hanches plus saillantes que cela
n’a lieu chez un individu bien conformé du sexe mas¬
culin.
Le visage est fourni d’une barbe assez épaisse, et néan¬
moins il offre dans son aspect général quelque chose de
mou et de féminin : cette sorte de physionomie équivo¬
que a même quelque chose de repoussant.
Au-dessous de la peau, dans les interstices des muscles,
ainsi que dans les cavités abdominale et pectorale , on
rencontre une graisse excessivement abondante, circons¬
tance qui constitue un nouveau trait de ressemblance
entre cet individu et la femme.
Les glandes mammaires, très développées, beaucoup
trop développées pour un homme, le sont cependant un
peu moins que chez une femme bien constituée, et se
terminent par un mamelon presque aussi gros que celui
de la femme à l’état normal.
On peut dire, d’une manière générale , que sous le
point de vue de la conformation et du volume de presque
toutes les autres parties dont il nous resterait à parler ,
cet individu tient une sorte de juste milieu entre l’homme
et la femme. Disons cependant que le cœur était à peu
près aussi robuste que celui d’un homme de taille et de
force moyennes.
Telles sont les anomalies d’organisation que nous avons
constatées chez Val mont. On conçoit assezque nous n’a vons
rien négligé pour tâcher de nous procurer des renseigne¬
ments détaillés sur les anomalies fonctionnelles ou phy¬
siologiques qui devaient correspondre aux anomalies
des conditions anatomiques. Malheureusement , toutes
nos démarches ont été jusqu’ici sans succès. On sest
transporté au domicile deValmont : on a su que ce mal-
12
UEHMAPHR0DI3ME.
heureux logeait dans un grabat, où il n’avait pour se
reposer qu’une botte de paille* Du reste, il était sans
parents, sans amis, et on n’a pu obtenir aucune espèce
de données sur son genre de vie habituel, sur ses goûts,
ses penchants, ses mœurs, ses aptitudes intellectuelles.
De quelle importance n’eussent pas été ces documents
physiologiques î Ne semble-t-il pas que la nature ait
pris soin d’éloigner de nous tous les éléments propres
à nous éclairer dans la grande et ténébreuse question
que soulève l’histoire anatomique de Valmont, comme
si cette nature était en quelque sorte honteuse de nous
révéler en entier le mystère d’une aussi étrange aberra¬
tion î
Il résulte des déclarations de Valmont , au moment
de son entrée à l’hôpital, qu’il était veuf. Ainsi donc,
un individu qui était doué des organes essentiels du sexe
féminin, tandis qu’il ne possédait, d’une manière évidente,
que les organes dits accessoires du sexe masculin, n’a pas
craint de contracter une alliance dans laquelle il devait
jouer le rôle de mari! Comment s’^M-il comporté dans l’acte
du coït ? Quels transports pouvait-il éprouver auprès
d’une femme , lui que ses organes générateurs profonds
appelaient à remplir pour son propre compte les fonc¬
tions de la femme ?
Puisqu’il avait une matrice, Valmont était-elle ré¬
glée (qu’on me pardonne cette sorte d’hermaphrodisme
de langage ) ? Si les règles existaient en effet , il devait en
résulter chaque mois une hématurie. Cette hématurie
périodique n’aurait-elle pas pu être prise pour une afïec-
tion de la vessie? (i)
(î) Si quelque affeclion réelle ou supposée de vessie eut nécessité le
cathétérisme, et que la soude eut péneLré non dans la vessie , mais dans le
vagin et l'utérus , l’opérateur ne se serait-il pas trouvé clans un étrange
embarras ?
HEUMAPHUODiSME. 4 l3
Si la. femme de Valmont eût existé, elle aurait eu, sans
doute, de précieuses etcurieuses révélations à nous faire. Il
ne paraît pas qu’elle ait eu d’enfants pendant lé cours de
cette monstrueuse union ! En supposant que le contraire
eût eu lieu, certes, ce n’est pas à Valmont qu’il aurait
fallu faire les honneurs de la paternité.
Mais , s’il est bien vrai , ainsi que le professent nos
plus célèbres zoologistes, qu’étant données les condi¬
tions anatomiques , on connaît par cela même les fonc¬
tions, à quoi bon recourir à de longues et laborieuses in¬
formations sur la conduite physiologique de Valmont?
En effet , pour résoudre la question de savoir quelle a été
la vie physique et morale de Yalmont , nous possédons
tous les éléments nécessaires, puisque nous connaissons
l’organisation de cet individu : que le cadavre de Yal¬
mont se ranime donc au souffle fécond de l’Académie,
qu’elle nous révèle par la pensée quelle nuance de vie a dû
revêtir une organisation , dans la formation de laquelle
la nature a suivi un système vraiment si déplorable. Que
l’Académie nous apprenne donc, par exemple , si Val-
mont a véritablement ressenti l’aiguillon de lacbair,
et dans ce cas si c’est plus spécialement l’aiguillon de
la chair masculine ou celui de la chair féminine qu’il
aura éprouvé , ou bien encore s’il aura été tour-à-
tour en proie au stimulus de ce double aiguillon; ou si ,
par une sorte de neutralisation d'un sexe par l’autre,
Yalmont sera resté dans un état d 'indifférence en ma¬
tière génératrice»
Quoi qu'il en soit , sous le rapport moral ou phrénolo -
gique , le mariage contracté par Valmont est une cir¬
constance digne de toute notre méditation, et nous
croyons qu'elle est bien propre à exercer la sagacité des
physiologistes et des philosophes.
*4
HERMAPHRODISME.
On a dit: Propteruterum solum mulier est id quod est *
Est-ce donc seulement à cause de son utérus que Val-
mont a été ce qu’il a été ^ c'est-à-dire homme , et qui
plus est, homme marié?
§ IL Quelques réflexions sur V origine de cette 'variété
d’ hermaphrodisme ; indication de cas analogues au
précédent) recueillis par divers auteurs (1).
i . ■
Parmi les innombrables anomalies, soit générales, soit
partielles , qui peuvent affecter l’espèce humaine, ce ne sont
(i) Je m’empresse de consigner ici les reflexions générales que ce fait a
suggérées à M. Manec, et qui sont l’espression assez fidèle des opinions le
plus généralement répandues aujourd’hui sur la question de l'herma¬
phrodisme. Noos verrous plus loin en quoi pèchent, si nous ne nous trom¬
pons jaous-iûème, les opinions dont il s’agit.
« La fonction de reproduction est exécutée dans l’un et l’autre sexe par
j> un ensemble d’organes qui , en raison de la part qu’ils prennent à son
» accomplissement, ont été divisés en deux ordres. Dans le premier ,
j> se rencontrent les organes caractéristiques de chaque sexe ; savoir :
m chez l’homme les testicules avec leurs dépendances , et chez la femme
» les ovaires également avec leurs annexes. Le second ordre comprend les
« organes copulaîeurs , qui n’entrent en action que pendant le rapproche-
« ment des sexes.
)) Les organes qui appartiennent au premier ordre ne se trouvent jamais
» réunis sur le même individu, non-seulement dans l’espèce humaine,
a mais encore dans les autres espèces qui occupent un rang un peu élevé
» dans l’échelle animale. Ce fait, actuellement bien reconnu par les obser-
» valeurs exacts , doit faire rejeter comme fabuleux tout ce qui a été dit
» sur le véritable hermaphrodisme , dans l’homme et les animaux qui se
» rapprochent de son organisation.
» Mais s’il est vrai que les organes qui dans la femelle produisent l’œuf
» et qui dans le mâle sécrètent la liqueur qui doit féconder l’œuf, con-
» servent toujours la forme et la structure qui leur sont propres , de ma-
w uière qu’on peut toujours les reconnaître , quels que soient les changc-
» menls de rapport et de position qu’ils aient pu subir, il n’en est pas.
» ainsi des parties qui servent à la copulation. Ces dernières remplissait
HERMAPHRODISME.
i5
pas celles des organes de la génération qui ont préparé le
moins de tortures aux tératologistes ; et tout en rendant
justice pleine et entière aux beaux travaux de quelques cé¬
lèbres anatomistes modernes , on peut dire que les dévia¬
tions dont peuvent être affectés ces organes , obéissent à des
lois dont quelques-unes se sont jusqu’ici opiniâtrément dé¬
robées à la savante investigation de l’anatomie la plus trans¬
cendante. Bien qu’en pareille matière , le plus sage parti
pour moi fût d’avouer mon • incompétence , je tâcherai
cependant de déterminer s’il est quelque nouvelle loi qui
puisse être avantageusement invoquée pour l’explication fie
l’espèce de monstruosité dont il s’agit dans ce travail.
Toutefois, avant de nous engager dans les obscures pro¬
fondeurs d’une telle recherche, il me paraît indispensable
de rappeler les faits analogues au précédent, que l’on ren¬
contre en si petit nombre dans les fastes de la science.
Pour cela , je commencerai par consigner ici une note insé¬
rée par M. Geoffroy Saint-Hilaire, dans le numéro du 18
février i832 de la Gazette médicale „
» simplement des usages de convenances individuelles, peuvent être
» modifies dans leur grandeur , leur configuration et meme leur structure
» sans qu’il en résulte nécessairement l’aboliiion des fonctions genera-
» trices; ce qui arriverait indubitablement , si de tels changements s’opé-
» raient dans les organes du premier ordre.
i> Dans les cas d'équivoque et de doute sur le sexe d’un individu , c’est
» toujours sur les organes accessoires que les déviations organiques ont
» porté. Toutes les fois qu’il a été possible d’examiner les organes fon-
» damentaux de la génération, à l’instant même l’incertitude a cessé,
» ainsi qu'oii peut s’en convaincre en parcourant les annales de la
» science.
» Le fait nouveau à l’occasion duquel nous avons présenté les réflexions
» précédentes , en même temps qu’il vient les confirmer , se distingue né-
» anmoius de ceux déjà connus , par des caractères qui lui sont propres,
» et qui méritent de fixer l’attention des anatomistes. »
HERMAPHRODISME.
16
Cas singulier et paradoxal d'hermaphrodisme , observé
à Naples , sur un sujet octogénaire , communiqué et
commenté par M. Geoffroy Saint-Hilaire.
« Le professeur Don Joseph Ricco, dans le courant de
» janvier , faisant l’autopsie du cadavre d’une octogénaire ,
j» qui devait servir à la démonstration dans les leçons
» d’anatomie qu’il fait à l’hôpital de Santa-Maria délia
» jide , s’aperçut que les organes sexuels de ce cadavre
>> présentaient des anomalies telles, qu’on ne pouvait
» décider avec certitude auquel des deux sexes il pouvait
» appartenir, bien que, pendant la vie, il eût passé pour
» être du sexe féminin , et qu’en conséquence cette femme
» eût pris mari. Le professeur Ricco appela à son aide le
» professeur Don Joseph Sorrentino , et , après avoir fait la
» préparation avec soin, ils trouvèrent que les parties exter-
» nés étaient du sexe féminin , et que les organes internes
)> étaient du sexe masculin. Ce cas singulier intéresse par
» sa rareté , non-seulement la physiologie , mais la clinique
» et la médecine légale. Pour cela, les deux professeurs
» ont conservé la préparation anatomique , et se sont occu-
» pés de livrer à l’impression une description détaillée. »
( Journal des Deux-Siciles , janvier 1802.)
« Un cas semblable est déjà dans la science , dit M. Geof-
» froy Saint-Hilaire, et il a été publié par le docte et cé-
« lèbre médecin Maret , père de M. le duc de Bassano (1).
» Ce fut au sujet d’un individu né à Bourbonne-les-Bains
»» (Hubert Jean-Pierre), qui passa pour garçon, et qui
» mourut âgé de dix-septans, en 1767. Toutefois, ajoute
» M. Geoffroy Saint-Hilaire, le travail de Maret avait
» laissé dans le doute les physiologistes contemporains,
(i) Mémoires de V Académie de Dijon , t. n.
HERMAPHRODISME.
J7 •
j> dominés par les principes d'une école , et qui n’admet-
» laient comme réelles que des constitutions finies cTor-
» ganes, que des arrangements de parties harmonieusement
» coexistantes. Selon M. Geoffroy Saint-Hilaire , la valeur
» d’opinion dont avait besoin récrit de Maret , va lui être
» procurée par l’observation précise des professeurs Ricco
» et Sorrentino (1). »
Le fait des médecins italiens est , pour ainsi dire , le
pendant de celui que je viens de communiquer à l’Acadé¬
mie. Malheureusement , la description détaillée qu’ils ont
promise n’est pas, que je sache, encore publiée, et l’on
(i) Quelques recherches d’anatomie comparative ' avaient préparé
M. Geoffroy Saint-Hilaire à rencontrer cette singulière anomalie : c’est
que ce cas de déviation à l’égard des mammifères devient, au contraire ,
sous un rapport , un état de règle chez les reptiles. L’organe sexuel de
ceux-ci se partage effectivement en deux systèmes à peu près indépen¬
dants. Tel est , d’une part , le système profond qui se développe de dedans
en dehors , et qui naît d’artères fournies par l’aorte descendante , et ,
d’autre part , le système superficiel qui se répand de l’extérieur à l’inté¬
rieur , par la distribution et sous l’influence des vaisseaux de la peau. Ces
deux systèmes marchent à leur mutuelle rencontre , et s’abouchent l’un
avec l’ autre , immédiatement chez les mammifères , où , anastomosés et con¬
fondus, ils ne forment plus qu’un seul appareil générateur; et médiatement
chez les reptiles , où , quand les deux systèmes aboutissent dans un récep¬
tacle commun , surviennent les débouchés de l’appareil urinaire , qui s’in¬
terposent entre eux.
« Prévenu par de tels résultats d’anatomie transcendante, j’ai pu , dit
» M. Geoffroy Saint-Hilaire, à mon tour , et alors sans la moindre sur-
» prise , observer de semblables hermaphrodites. Ces cas ne sont pas très
» rares chez les animaux $ sans doute à cause de la facilité qu’on a de les
» examiner tout d’abord. Je les ai étudiés deux fois chez la chèvre , et un
» troisième sujet m’a de plus été offert. La première fois, ce fut sur une
» chèvre qu’un receveur , à Versailles , M. Lesueur , avait donnée à la
s ménagçrie. Cet animal mourut durant les victoires de la grande semaine.
» Je trouvai un moment pour l’examiner; et, quelque temps après , l’A-.
» cade'mie des sciences (séance du 29 août i83o) voulut bien prêter at-
HERMAPHRODISME.
îB
sent combien est incomplète et tronquée la relation du fait
telle qu’elle a paru dans le Journal des Deux-Siciles.
Tout récemment, M. le professeur Mayer ( Icônes se -
lectœ præparatorum musœi anatomici Bonnensis ) vient
de publier dix cas d’hermaphrodisme, dont cinq appar¬
tiennent à l’espèce humaine, et autant aux quadrupèdes
(chèvre, bouc). Le célèbre anatomiste ne doute point
que ces faits ne répandent une vive lumière sur l’obscure
matière à laquelle ils se rapportent. Non dubito equidem ,
dit-il, quin decem specimina hermaphroditorum , quo¬
rum quinque ad hominem , totidem vero ad qnadru-
» tention aux nombreux details que je lui communiquai sur ce cas inté-
» ressant de déviation organique.
» L’attention que j’ai donnée à ces deux états de l'appareil génital chez
» nos chèvres monstrueuses , se rapportait à une sorte de confirmation de
» généralités posées en ma Philosophie anatomique , et que j’avais résu-
» mées ainsi : V appareil générateur se sous-divise en deux sous -appareils
aussi distincts dans leur mode et leur position , que dans leur structure et
» leurs fonctions ; tels sont : i° les parties internes qui fournissent les élé-
» ments reproducteurs ou l’appareil de reproduction ; et 2° les parties
» externes servant à f union des deux sexes , ou à l’appareil de copulation.
» De tels hermaphrodites sont improductifs : la condition différente
» des deux systèmes , qui se soudent ensemble, empêche l’harmonie de
» leurs relations : l’occlusion des canaux y forme un principal sujet
» de perturbation. La chèvre de M. Lesuaur , animal neutre et nui,
» se maintint dans un état de juste-milieu , quant à sa corpulence : les
» formes du premier âge , d’abord sveltes et amaigries , vinrent à se pro-
x) noncer plus fortement , mais jamais au degré qu’exprime la physionomie
)) du bouc, néanmoins bien davantage qu’il n’eût appartenu à une chèvre
» de le faire. »
Nota. Depuis que M. Geoffroy Saiut-Hiiairc a eu connaissance de
l’observation qui fait le sujet de ce Mémoire , il a fait l’acquisition d’une
nouvelle chèvre hermaphrodite. Des faits de ce genre, tombés au pouvoir
d’un aussi savant et ingénieux observateur , ne peuvent manquer d’être
heureusement fécondés , et de donner naissance à la découverte de quelque
importante loi tératologique qui, par suite, répandrait une nouvelle lu¬
mière sur l’organogénie normale elle-même.
HERMAPHRODISME.
*9
pedes spectant , novam în hac re obscurâ lucem alla -
tara sint .
Les faits d’hermaphrodisme publiés par M. Mayer , avec
des planches fort belles , sont assurément très précieux ;
mais on doit regretter vivement que l’anatomisle allemand
ne se soit pas livré à une dissertation approfondie sur l’her¬
maphrodisme en général , considéré sur-tout sous le point
de vue de ses causes, de son mécanisme ou de son mode
de production (1).
Les cinq faits relatifs à l’espèce humaine, bien que pré¬
sentant beaucoup d’analogie avec le nôtre, ne lui ressem¬
blent pourtant pas complètement. Chez tous les monstres
observés par M. Mayer , Thermaphrodisme différait sur¬
tout de celui que nous- avons décrit chez Valmont :
i° parce que, chez eux, les ovaires n’existaient pas (ils
ne sont pas mentionnés, du moins dans le texte , ni repré¬
sentés dans les planches), tandis que Valmont en était
pourvu ou du moins possédait des organes qui , comme
nous l’avons vu, semblaient tenir à la fois et des ovaires et
des testicules ; 2° parce que, outre les testicules , les vésicu¬
les séminales, les canaux déférents et éjaculateurs se ren¬
contraient distinctement chez ces hermaphrodites, tandis
que nous n’avons trouvé chez le nôtre aucun vestige de ces
derniers organes.
Je ne dirai rien des trois premiers cas de M. Mayer, qui
ont été observés chez des fœtus de quatre à six mois (2);
mais j’indiquerai succinctement les principales circon¬
stances des deux autres cas, dont l’un a pour sujet un
(1) Le mot hermaphroditogénèse est si dur que je n’ose l’employer.
(2) Après avoir décrit le troisième fœtus, M. Mayer fait remarquer que
l’hermaphrodisme qu’il présente est imparfait, et que, chez ce sujet,
t’élément fe'minin l’emporte sur l’élément masculin. ( Prœvalens quidem
natura muliebris est . )
2
20
HERMAPHRODISME .
jeune homme Je dix-huit ans , et l’autre un vieillard de
quatre-vingts ans ( 1 ) .
Le premier de ces hermaphrodites, parvenu à l’Age de
l’adolèscence , se montrait poli et affable envers les indivi¬
dus de son âge , sans égard aucun pour leur sexe. Il em¬
brassait avec une ardeur extrême ses jeunes amis. Enfant,
il se livrait à tous les amusements de cet âge, sans mani¬
fester aucun goût pour les jouets des petites filles. A un
âge plus avancé, il éprouvait des érections, s’il faut en croire
sa mère, laquelle ne manquait jamais de lui adresser des
reproches sévères , lorsqu’elle le voyait quelquefois appli¬
quer des baisers à la servante de la maison. Alors , craintif,
triste et d’une mauvaise santé, il s’enfuit du logis. Peu de
temps après, il mourut d’une affection chronique de l’ab¬
domen, pour laquelle il fut reçu , en 1821, à la clinique
de Bonn, Pendant son séjour à l’hôpital, il se refusa avec
une invincible opiniâtreté, à l’examen qu’on voulait faire
de ses parties génitales.
Examen du cadavre . Il existait un pénis long de deux
pouces neuf lignes. Du sommet du gland partait un sillon
qui s’étendait en bas et en arrière à travers le scrotum; ce
dernier, séparé en deux parties , était petit et vide de testi¬
cules. On trouva un utérus semblable à la matrice des qua¬
drupèdes. Le vagin communiquait avec le sillon ou canal
indiqué plus haut. La prostate existait. De chaque côté du
col de l’utérus, on trouva une vésicule séminale , pourvue
de son conduit éjaculateur. Derrière l’anneau inguinal droit,
011 rencontra un testicule peu développé ; aucun vestige de
testicule n’apparut dans le point correspondant du côté
(1) Il importe d’autant plus de signaler ici les recherches de M. Mayer
que, jusqu’à présent , chez nous, plusieurs anatomistes semblent n’en
avoir aucune connaissance.
Hermaphrodisme.
gauche. De l’un et l’autre côté on ne trouva que des vestiges
des conduits déférents. Le bassin tenait le milieu entre celui
de la femme et celui de l’homme, etc. , etc. (1).
Terminons par les réflexions de M. Mayer sur ce cas.
« Il est évident , dit-il , que , dans le corps de cet homme ,
appâraît le type mâle combiné avec le type féminin. On
reconnaît le type viril à la barbe, assez développée, à la
grandeur du thorax, à l'exiguïté des mamelles, enfin à la
longueur et à la position des membres inférieurs. Le type
femelle se révèle par l’étroitesse du front , le volume du
foie, la configuration du bassin.
» Les parties génitales présentent plus particulièrement
et plus manifestement encore les caractères réunis de l’un
et l’autre sexe. Les organes de la virilité sont : le pénis, le
scrotum, la prostate, les vestiges du testicule gauche, les
vésicules séminales et les conduits éjaculateurs. Les organes
du sexe féminin sont le vagin et l’utérus.
» Passons au second cas, qui a pour sujet, comme nous
l’avons dit , un vieillard octogénaire. Ce vieillard vécut cé¬
libataire et mena une vie sobre et tranquille. Il mourut à
l’âge de quatre-vingt-deux ans, dans un état de démence
sénile.
» Le cadavre était long d’environ quatre pieds; la poi¬
trine avait des dimensions viriles ; les mamelles étaient
petites ; le bassin , large et déprimé, se rapprochait de celui
de la femme plus que de celui de l’homme.
» Le membre viril n’a qu’un pouce dix lignes de loii-
(i) Voici les propres termes de M. Mayer : Pelwim cadaveris exsiccatam
seriiis emensi surnus earrique tune perspicuè virili cecjuè ac cum rite effor -
matafeminea pelvi cadaveium ejusdern jtre cetutis et magnitudmis cornpa-
ravimus , ex cjua comparatione mirum in modum , manifestum eral pelvirn
hujus hermaphroditi medium tenere inter dans illas et characteribus utrius~
que sexûs gaudere.
22
HERMAPHRODISME.
gueur, mais est assez gros. Depuis le sommet du gland jus¬
qu’à la racine de la verge , existe un demi-canal , à peu près
comme chez le précédent hermaphrodite.
» A gauche, derrière l’anneau inguinal, on trouve un
testicule muni de sou canal déférent. Dans la cavité du
bassin apparaît une matrice de texture ordinaire; les lèvres
de l’orifice manquent ; la cavité de l’utérus se continue dans
un vagin plus étroit qu’elle , et dont la surface interne est
rugueuse. Sur les côtés du col de l’utérus se montrent deux
vésicules oblongues, dont la gauche reçoit le conduit dé¬
férent déjà mentionné, et sa cavité multiloculaire se ter¬
mine en un canal éjaeulateur, qui va s'ouvrir dans le vagin,
non loin de l’orifice commun de ce dernier et de l’urèlhre.
La partie antérieure du vagin traverse, en se rétrécissant ,
le corps d’une prostate bien conformée, et se confond en¬
suite avec l’urèthre. La vésicule séminale droite n’ofïYe aucun
rudiment de canal éjaeulateur , ni de conduit déférent , et
e’est en vain qubn -cherche le testicule dans le côté droit.
Chez ce sujet, dit M. Mayer, les organes masculins sont
donc : un testicule, un conduit déférent, une vésicule sé¬
minale , un canal éjaeulateur du côté droit , une vésicule
séminale droite, hne prostate, un pénis d'un volume mé¬
diocre. — Un vagin , une matrice, constituent les organes
féminins. »
Prévenons maintenant à la discussion de la fameuse ques¬
tion de l’ hermaphrodisme.
Les faits précédents étant connus, on conçoit à peine
comment de graves auteurs ont soutenu qu’il n’existait
point de véritable hermaphrodisme chez l’homme et les
espèces les plus rapprochées de lui , prétendant que tous
les faits allégués en faveur de cette monstruosité*, consis¬
taient uniquement « en des vices de conformation des par-
» ties sexuelles externes , qui donnaient à ces parties le
I
HERMAPHRODISME. $3
)> faux aspect d’une reunion plus ou moins complète des
)y attributs des deux sexes dans un même individu : tels
» sont, parmi ces vices de conformation , un excessif dé-
» veloppemenl du clitoris chez la femme , un hypospadias
» chez l’homme, etc. »
Ce pseudo -hermaphrodisme n’est pas, en effet, le seul
que l’on puisse rencontrer, témoins les faits précédemment
cités. Les raisons que font valoir les partisans du non-
hermaphrodisme vrai , sont , d’ailleurs ,!plus édifiantes que
solides et philosophiques. On dit que l’hermaphrodisme ,
constituant, pour ainsi dire, un crime àe lèze-organisation
au premier chef , il est impossible que la nature s’en soit
rendue coupable. On admet bien qu’elle peut, par une
espèce de plaisanterie ( ludibria naturœf se permettre quel¬
quefois certains écarts, mais on ne veut pas qu’elle pousse
jamais le jeu jusqu’à créer, chez le même individu ,
des organes sexuels dont les uns seraient mâles et les autres
femelles (1). Ainsi que nous le disions tout à l’heure,
c’est assurément une chose touchante que de se constituer
ainsi le défenseur officieux de la nature, et d’en ap¬
peler à une sorte d'impossible moral pour prouver que
cette nature ne saurait construire un monstre où se trou¬
veraient violées les lois fondamentales qu’elle-même s’est ,
dit-on, imposées. Mais il fallait, avant de composer un
aussi éloquent plaidoyer, bien examiner les faits : car ce
(i) Il n’est pas nécessaire de dire que la nature , dans notre espèce , ne
peut faire , humainement parlant , cjiiun seul et même individu , soit à la
fois complètement mâle et femelle, en d’autres termes que deux person¬
nes n’en constituent qu’une. Mais pour qu’il y ait hermaphrodisme ,
dans lé sens philosophique de ce mot , il n’est besoin que de l’existence,
chez un seul et même individu, d’un système d’organes génitaux dont les
uns sont males et les autres femelles y et non du miracle de deux individus ,
Vun male y Vautre femelle , nyen faisant quun seul. Ne transformons pas
une question de choses en une simple et puérile question de mots.
HERMAPHRODISME.
a 4
qui est ne cesse pas d'être, parce que nous avons déclaré
que cela ne doit pas être. Quant à la prétendue violence
que la nature exercerait contre ses propres lois , nous pou¬
vons être tranquilles à cet égard ; car les loisque nous appe¬
lons ainsi les propres lois de la nature, sont précisément
celles que notre intelligence lui prescrit ; et je ne vois pas
quelle serait l’énormité du délit de la nature, en supposant
qu’elle eût enfreint le Code étroit dans lequel quelques
princes de l’empire philosophique l’ont, en quelque sorte,
enchaînée.
Loin donc que l’hermaphrodisme, puisqu’il existe, soit
une infraction absolue aux lois de la nature, il est évident
qu’il constitue lui-même une loi naturelle ; car tout a ses
lois, comme l’a dit Montesquieu. Convenons seulement que
c’est là une de ces lois exceptionnelles dont la puissance
organisatrice ne fait très heureusement pas un trop fréquent
usage.
Les faits qui déposent en faveur de l’existence de l’her¬
maphrodisme, comparés sous le rapport numérique à ceux
de l’ordre normal, sont même en telle minorité, qu’il
n’est pas surprenant qu’on n’en ait si long- temps tenu
presque aucun compte. Mais le moment paraît venu de
ne plus reléguer au rang des fables toute espèce de
forme de véritable hermaphrodisme. Que l’on nie la
possibilité d’un complet hermaphrodisme , celui des
temps mythologiques excepté , c’est une opinion contre la¬
quelle personne , je le répète , ne songera à s’élèver. Il
11e n est pas de même de l’hermaphrodisme incomplet,
partiel, j’ai presque dit du quasi-hermaphrodisme , de celui
enfin, ou, comme dans les faits que nous avons cités, on
trouve à la fois chez un même individu , non pas tous (es
organes du sexe mâle et du sexe femelle, mais quelques-
uns des organes de ce double sexe.
Ce genre d’hermaphrodisme étant admis , on conçoit
HERMAPHRODISME.
25
qu’il comporte plusieurs espèces, puisque les organes.de la
génération étant assez multipliés chez l’un et l’autre sexe,
ils peuvent être le principe d'une foule de monstrueuses
combinaisons. Il est prudent, d'ailleurs, d’attendre les faits
pour préciser ces combinaisons, peut-être beaucoup moins
nombreuses qu’on ne serait tenté de le croire au premier
abord , puisqu’il est probable que le principe ou la loi des
connexions ( Geoffroy Saint-Hilaire) doit nécessairement
s’opposer à quelques-unes de celles que l’esprit nous fait
concevoir comme mathématiquement possibles.
Cependant, que deviendra toute cette discussion, si l’on
veut (et la volonté, pour quelques-uns, tient lieu de raison
et de preuves) que le sujet de noire observation ne soit pas
un hermaphrodite ? Le très habile anatomiste, M. Manec
( voyez les notes ci-annexées ) , semble disposé à ranger Vat-
mont parmi les femmes; il ne craint pas de se mettre ainsi
en opposition et avec l’état civil, et avec l’église, et avec
Yalmont lui-même , qui a porté le courage et le sentiment
de la Tirilité, jusqu’à prendre femme ! Je l’avouerai , toute¬
fois , il n’est pas de loi qui nous oblige à croire à X infailli¬
bilité de l’état civil et de l’église même, en matière de mons¬
truosité , et si , à cet égard , je n’avais à choisir , les faits mis
de côté, qu’entre l’opinion d’un maire et d’un curé , et celle
de M. Manec, je n’hésiterais pas long-temps. Mais il me
paraît bien difficile, en se conformant rigoureusement aux
données de la saine anatomie , de trouver dans Valmont
tous les éléments d’une femme, et de n’y trouver que les
vrais et purs éléments de la femme. Quelle femme , bon
Dieu ! qu’un individu qui n’a pas de vulve , qui n’a qu’un
rudiment de vagin, faisant suite à l’extrémité vésicale de
l’urèthre , et qui possède une verge , un scrotum, une pro¬
state et des glandes de Coowper bien conformées ! quel
homme, en vérité, voudrait pour compagne une femme
ainsi conditionnée? Mais, dira-t-on, si ce n’était une femme,
HERMAPHRODISME.
2É)
c’était- donc un homme que ce Yalmont , car il faut bien en
faire quelque chose et le placer quelque part? Sans doute ,
il en faut faire quelque chose et le placer quelque part;
néanmoins, ce n’est ni une femme, ni un homme dans toute
leur pureté; c’est un composé d’homme et de femme ? une
sorte de troisième sexe , de métis ou de mulet sexuel . Voilà ce
qu’est Yalmont; sa place ne peut être ailleurs que parmi les
hermaphrodites (en donnant au mot hermaphrodisme l’ac¬
ception large que nous lui avons reconnue précédemment,
c’est-à-dire en étendant ce nom aux cas dans lesquels on
trouve chez un même individu quelques-uns seulement des
organes génitaux des deux sexes , tandis que les or¬
ganes communs au mâle et à la femelle se présentent sous
une forme intermédiaire qui n’est exactement et parfaite¬
ment ni celle des organes masculins , ni celle des organes fé¬
minins). On dirait que pour la construction de notre
monstre, il s’est établi une lutte entre le nisus for mativ us
masculin et le nisus formativus féminin, et que, par une
sorte de compromis ou de transaction entre ces deux forces
exclusives , il est résulté de leurs tendances combinées le
produit mixte ou neutre dont on a vu plus haut la des¬
cription. Il est donc à souhaiter, pour le bonheur et la per--
pétuité de l’espèce humaine, qu’il ne prenne pas souvent
fantaisie à la nature génératrice de procéder ainsi par la voie
ou le système de fusion.
QueValmont, maintenant que l’ouverture de son corps a
trahi , si l’on ose ainsi dire, son incognito , en nous faisant
constater chez lui l’existence d’un utérus et d’ovaires rudi¬
mentaires (M. Manec), soit pris, sous ce rapport, pour un
être plus voisin de la femme que de l’homme, je ne vois pas
qu’on puisse se refuser à l’accorder; mais ce qu’il n’est peut-
être pas moins juste de reconnaître, c’est que pendant la vie
de cet individu, il n’eût pas été possible , dans Tétât actuel
de la science, de le prendre pour une femme plutôt que pour
hermaphrodisme.
27
un homme. Aussi, cet individu, jusqu’au moment où il a
été ainsi traduit devant le tribunal de l’infaillible autopsie
cadavérique, a-t-il été admis à la dignité d’homme, et bien
qu’il en ait, sans aucun doute, assez mal fait les honneurs,
du moins a-t-il pu en usurper impunément les droits pen¬
dant plus de soixante ans, tandis qu’il est clair comme le
jour qu’il n’eût pas long-temps conservé le titre de femme,
si l’on se fût avisé de l’eu revêtir, même avec l’autorisation
de quelqu’un de nos anatomistes les plus distingués.
Le fait que nous venons d’exposer, quflque extraordi- e
naire, exceptionnel, extra-légal qu’il paraisse au premier
abord, n’en est pas moins soumis, comme nous l’avons dit
plus haut, à des conditions nécessaires, à des lois voulues
qu’il s’agirait maintenant de pénétrer. Ces lois, ces condi¬
tions n’étant que des modifications des conditions et des
lois normales, il est clair que la connaissance de ces der¬
nières constitue une donnée de la plus haute utilité pour la
détermination des autres , et réciproquement. Or bien que
le voile dont la nature se plaît à envelopper Tacte mysté¬
rieux de la génération, n’ait encore été qu’incomplétement
déchiré, on doit convenir néanmoins , que, grâce aux re¬
cherches de plusieurs anatomistes modernes , la nature en
quelques points de celte grande fonction, a été , pour ainsi
dire, prise sur le fait (1).
Les lois de l’organogénie ou de l’évolution des germes ont
déjà été appliquées avec succès à la théorie de plusieurs
espèces de déviations anormales. Toutefois, je ne sache pas
que , jusqu’ici , on ait fait cette heureuse application à quel¬
que cas appartenant à la même catégorie que celui de Val-
(i) Voyez l’ouvrage que vient de publier tout récemment M. Serres,
sur le6 formations normales et anormales.
HERMAPHRODISME.
‘>.8
mont. Ce n’est donc qu’en tremblant et d’un pied incertain
que nous allons nous engager dans le dédale obscur de ce
point de tératogénie . Mais il y a quelque chose de si at¬
trayant dans le plaisir de sonder le mystère de la création
d’un homme, même quand il n’est pas fait à notre image
que nous n’avons pu résister à cette tentation.
La monstruosité de Valmont suppose de deux choses
l’une : ou que le germe dont Valmont n’est que le dévelop¬
pement, contenait lui-même, primordialement, les éléments
5de cette monstruosité, ou bien, au contraire, que le germe,
primordialement parfait , ne s’est ainsi dévié de son évolu¬
tion normale que sous l’influence de circonstances acciden¬
telles. Admettre la première supposition ^ ne serait réelle¬
ment que reculer la difficulté; elle est, d’ailleurs, en op¬
position aux idées les plus généralement reçues aujourd’hui
parmi les anatomistes. Voyons donc comment la seconde
supposition pourra se prêter à l’explication de notre fait.
Soit, par hypothèse , une double conception ou diplogé-
nèse; supposons encore que celte double conception se com¬
pose d’un germe à sexe mâle et d’un germe à sexe femelle.
Admettons, enfin, que ces deux germes, fortement pressés
l’un contre l’autre au sein de l’utérus , au lieu de contracter
de simples adhérences, aient été forcés de ne former qu’une
seule masse, apte à conserver le mouvement vital.
Tout ceci étant admis, que peut-il arriver? i° les parties
communes ou similaires de l’individu mâle et de l’individu
femelle, en vertu de la loi dite d'affinité vitale , ont du se
réunir, se pénétrer, s’emboîter réciproquement, et de cette
fusion intime a dû naître une organisation douteuse, mixte,
neutre, comme si les parties s’étaient réciproquement satu¬
rées ; enfin, une organisation qui ne sera ni celle de l'homme,
ni celle de la femme , dans toute leur pureté, mais bien une
sorte de résultante anatomique de l’une et de l’autre.
HERMAPHRODISME.
*9
2° Nous venons de voir comment , par une espèce de décom¬
position des deux éléments de la conception supposée, le
produit de cette double conception s’est développé en
suivant , pour ainsi dire , une diagonale entre les carac¬
tères du sexe masculin et du sexe féminin , sous le rapport
des parties que possèdent en commun ces deux sexes. Il s’a¬
git maintenant de montrer, ou plutôt d’imaginer comment
se sont comportées les parties génitales qui distinguent ces
deux sexes l’un de l’autre. On ne peut concevoir une véri¬
table fusion entre des organes essentiellement différents les
uns des autres. Ainsi , par exemple, l’utérus et ses annexes ,
chez la femme, ne trouvent point chez l'homme des organes
analogues avec lesquels ils puissent se fondre er s’identifier.
Il devra donc arriver nécessairement que cet organe et ses an¬
nexes, dans le cas que nous avons supposé, se développeront
avec leurs attributs simples et caractéristiques, ainsi que nous
lavons observé chez Yalmont. Quant aux parties sexuelles,
qui , sans être absolument les mêmes chez l’homme et la
femme, présentent néanmoins des analogies assez marquées
(scrotum et grandes lèvres, pénis et clitoris, ovaires et
testicules, etc.), ne peuvent-elles pas, pendant leurs efforts si¬
multanés d’évolution, se fondre en des organes d’un type in¬
termédiaire entre les types mâle et femelle , ou bien offrir
diverses nuances de combinaison dans lesquelles on verrait
prédominer tantôt l’élément masculin , tantôt l’élément
opposé?
Quoi qu’il en soit de l’hypothèse que nous avons imaginée
pour nous rendre raison d.e la monstruosité de Valmont, il
est incontestable que cette monstruosité nous offre un exem¬
ple de la coïncidence, chez un seul et même individu, d’or^
ganes génitaux dont les uns sont propres à la femme, et les
autres à l’homme. Et dans ce cas même , qui paraît, au pre¬
mier abord , le type du plus complet désordre, où la nature
3o
HERMAPHRODISME.
semble réellement avoir mis ses propres lois hors la loi ; nous
trouvons , cependant une admirable confirmation de cette
grande loi, savoir, que pourse révéler principalementetessen-
tiellement par les organes génitaux , le sexe d’un individu ne
s’en manifeste pas moins par une certaine forme, par une dis¬
position donnée de tous les autres organes en général. Nous
voyons, en effet, que Valmont ne tient pas seulement de
l’un et de l’autre sexe par ses organes génitaux, mais qu’il en
est également ainsi sous le point de vue de tout le reste de
son organisation , et spécialement sous le rapport de son
habitude extérieure. Ainsi donc, quelque monstrueuse que
soit l'organisation de Valmont , elle prouve pourtant que
la nature , en y procédant , a , si j'ose parler ainsi , été jus¬
qu'à un certain point , conséquente et logique , comme dans.
les cas où elle produit les organisations normales.
§ III. Considérations médico - légales .
Ce n’esl pas simplement sous le rapport anatomique
et physiologique que la .monstruosité de Valmont pré¬
sente un grand intérêt. Elle soulève aussi de hautes
questions de médecine légale, de philosophie, voire même
de politique.
Posons d’abord en principe , comme l’a déjà fait
M. Geoffroy Saint-Hilaire, que le genre de monstruosité
auquel se rallie celle de Valmont, entraîne naturelle¬
ment une double stérilité (i).
Il suit d’abord de ce principe, que le mariage devrait
être interdit à un individu tel que Valmont; que si
(i) Qu’arriverait-il si , sacliant qu’il existe chez un animal à organes
génitaux extérieurs mâles , un utérus et des ovaires bien conformés , quel¬
que audacieux Spallanzani faisait parvenir artificiellement par le canal
urétro-yagina! de cet animal, une certaine quantité de liqueur séminale ?
HERMAFHR0D1S1VÏE.
3l
néanmoinscet individu, comme Ta fait Valmont, contrac¬
tait mariage, ne trouverait-on pas dans une telle mons¬
truosité, une raison plus que suffisante, de demande (n
séparation de la part du conjoint , et le divorce ne de¬
vrait-il pas être permis au moins pour des cas de cette
catégorie? Une telle union n’outragerait-elle pas, en
effet, la morale et la physiologie , bien que notre Code
civil n’ait encore rien dit à ce sujet ?
Ce n’est pas tout : non-seulement la monstruosité de
Valmont doit emporter la privation d’une foule de droits
civils, mais elle paraît encore incompatible avec l’exer¬
cice de certains droits politiques; et en attendant que la
cinquième classe de l’institut soit définitivement cons¬
tituée, l’Académie nous permettra-t-elle, par exemple 9
de lui demander si un Valmont , en- supposant qu’il eût
et l’àge et le cens requis, serait habile à remplir les fonc-
lionséminemment viriles de juré, ^électeur ou de député?
qui oserait émanciper ainsi des individus tjui n^appar-
tiennent complèlement à aucun sexe, et qui sont en
quelque sorte doublement eunuques ?
En supposant qu’un jour la peine de mort civile et
politique pût être infligée aux monstres de l’espèce de
Valmont, il y aurait loin de cette sévérité a la barbarie
de la loi des douze Tables, qui les condamnait à la mort
physique.
Il nous serait facile de multiplier les questions du
même ordre que les précédentes. Mais ce serait abuser de
la patience de l’Académie, et, d’ailleurs, elles se pré¬
sentent trop naturellement à l’esprit, pour qu’il soit
nécessaire de nous en occuper plus long-temps.
Passons à une question qui domine réellement toutes
les précédentes, et dont la solution doit être donnée,
avant qu’on puisse aborder les autres avec quelque avau-
3‘i
H*ERMAPII«0D1SME.
tage. Voici cette question: comment, d’après la simple
inspection extérieure, reconnaître si un individu tel que
Valmont , est bien hermaphrodite? Un tel diagnostic
n’esi-il pas au-dessus de nos moyens actuels? Sans doute,
il est hérissé de grandes difficul tés , et environné d’incer¬
titudes énormes, que de nouveaux faits pourront seuls
complètement lever; toutefois, en attendant que des
faits de ce genre , grâce au ciel très rares, aient été exac¬
tement recueillis, peut-êire serait-ce devancer heureuse¬
ment l’observation que d’oser affirmera priori, ou plutôt
en se fondant uniquement sur les faits précédemment
cités , que chez un individu dont la verge serait mé-
diocrement développée, dont le scrotum ni les régions
inguinales ne présenteraient aucune trace de testicules ,
et qui en même temps , considéré dans les autres appareils
de son économie , tiendrait le milieu entre l’homme et la
femme; que d'oser affirmer, dis-je, que cet individu porte
à l’intérieur cjuclqucc-uns des organes seruels propres
à la femme , et constitue sous ce point de vue un herma¬
phrodite incomplet, un semi-hermaphrodite. Cette sorte
de prévision serait plus probable encore, si pendant la
vie, il s’était opéré chaque mois par l’urèthre, un écoule¬
ment sanguin ou flux menstruel ?
Au reste, la solution d’un pareil problème est au-
dessus des personnes chargées civilement de constater le
sexe des nouveau-nés, et l’on conçoit que si la mons¬
truosité de Valmont était aussi commune qu’elle est, au
contraire , rare , il deviendrait urgent d’apporter quel¬
ques modifications dans le choix du personnel chargé de
veiller à la détermination des sexes.
En voilà bien assez, beaucoup trop, peut-être, sur
la question de l’hermaphrodisme. Nous demandons par¬
don à l’Académie, des moments que nous lui avons fait
ftERMÀPHRODlSME.
33
perdre. Il eût été plus sage de notre part de nous en
tenir à la simple exposition du fait que nous ayons
observé. Il n’appartient eifectivement qu’à cette savante
compagnie de connaître de toutes les questions que sou¬
lève ce fait. En le soumettant en quelque sorte au choc
d’une discussion académique, on a la ferme et satisfai¬
sante conviction , qu’il ne restera pas entièrement stérile.
Pourrait-on avoir quelques doutes à cet égard, si l’on
réfléchit que cette Académie possède dans son sein l’é¬
lite des hommes qui ont imprimé à la science des dévia¬
tions organiques, une direction si philosophique ? n’est-
ce pas , en effet, à l’un de ses membres, que Bissieu doit
sa monstrueuse immortalité? n’est-ce pas aussi à d’autres
de nos honorables collègues, qu’il faut attribuer la gloire
d’avoir dévoilé le double mystère de Ritta-Christina ?
Grâces à vos lumières, Messieurs, Valmont servira
à son tour aux progrès de la science. Quant à nous,
nous ne revendiquerons que le bonheur d’avoir pu four¬
nir à l’Académie l’occasion de faire quelque découverte
nouvelle , ou de confirmer quelques principes encore
contestés.
CONCLUSION.
Il résulte des faits contenus dans ce travail , que
l’on ne saurait révoquer désormais en doute l’existence
de Y hermaphrodisme vrai , mais incomplet et tel que
nous l’avons compris plus haut.
Le fait qui nous est propre, prouve en particulier
qu’il peut naître des individus de l’espèce humaine qui
participent à la fois , sous le rapport des organes géni¬
taux, et du type masculin et du type féminin , et qui,
sous le point de vue des autres organes en général,
communs à l’un et à l’autre sexes , offrent une sorte
34
HERMAPHRODISME.
de mezzo termine entre l’homme et la femme, va¬
riété d’hermaphrodisme, qui ne me paraît pas avoir
encore suffisamment fixé l’attention des tératologistes , et
que l’on pourrait désigner en attendant mieux , sous le
nom à' inter-hermaphrodisme. Peut-être, devrait-on ,
pour ne rien préjuger sur l’essence même de cette
monstruosité, la distinguer par le nom du sujet qui
nous l’a présentée , et créer alors l’expression d’her¬
maphrodisme V almontien .
Ceux qui nient avec opiniâtreté l’existence de tout
autre hermaphrodisme que celui auquel ils ont donné
le nom de pseudo-hermaphrodisme, nous accuseront,
sans doute, d’une crédulité presque superstitieuse, pour
avoir admis, chez Valmont, une espèce particulière de
vrai hermaphrodisme. Un tel reproche nous touchera
peu. U faut croire à ce qui est, fût-ce un miracle : de
toutes les superstitions, si l’on peut se servir de cette
expression en matière de sciences naturelles , la pire ne
consiste point à croire à ce qui n’est pas, mais bien à ne
pas croire à ce qui est.
Enfin , répétant la saine maxime qui nous a servi d’é¬
pigraphe , nous dirons en terminant? « Dans les faits
« qui , comme celui-ci , s’éloignent des opinions reçues,
» la sagesse consiste également à n’admettre que ce qui
» est rigoureusement prouvé, et à ne pas assigner des
» bornes trop étroites à la puissance de la nature. »
EXPLICATION DE LA PLANCHE.
Figure Ire.
1. Racine de la verge.
2. Raphé.
3,5. Bourses.
HERMAPHRODISME.
35
4. Méat urinaire.
5. Prépuce.
6,6. Pénil (Mont-de- Vénus) , saillant comme chez la femme
Figure Iro (bis).
Elle représente sur-tout les muscles du périnée.
a . Bulbe de Purèthre.
b . Glandes de Cowper.
Cm Racine des corps caverneux.
d. Muscle bulbo-caverneux.
e. — ischio-caverneux.
f. — trans verse.
g . Portion du muscle sphincter externe.
Figure IIe. £
Elle représente les organes extérieurs et intérieurs de la
génération , ouverts depuis le méat urinaire jusqu’au col
de Putérus , et vus par leur face inférieure.
1.1. Portion spongieuse de l’urèthre, ouverte dans toute
sa longueur.
2.2. Tissu cellulaire des bourses.
3.3. Muscles bulbo-caverneux renversés.
4.4. Bulbe de l’urèthre.
5.5. Côtés de la prostate.
6.6. Face inférieure de la vessie.
7.7. Uretères.
8.8. Vagin ouvert.
9. Col de Futérus ouvert.
10* Corps de l’utérus.
11. Ovaire entier.
12. Ovaire incisé.
13. Trompes utérines.
36
HERMAPHRODISME.
14. Ligament large.
15. Point de la jonction du vagin avec Purèthre.
Figure IIIe.
Elle représente l’utérus , le vagin , la vessie et une portion
de Purèthre , vus par leur face supérieure.
î. Urèthre ouvert par sa face supérieure.
2,2. Tissu de la prostate.
3. Luette vésicale qui se prolonge en avant pour former
levéru montanum.
4. Vessie ouverte.
5. Trigone vésical.
6,6. Uretères.
7. Utérus.
8. Jonction %u vagin avec la portion membraneuse de
Purèthre, vue par sa face supérieure.
IHPBIHÊB1KB d’mIPPOLYTB TILLIAKO, RUE DE lit mil PS. 88.
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